DÉCOUVERTE DE L’HOMÉOPATHIE


Le 10 avril 1755 naissait à Meissen, en Saxe, Christian, Friedrich, Samuel Hahnemann. Ce fils d’un peintre sur porcelaine révéla de bonne heure une profonde intelligence et une très grande volonté. Acharné à l’étude, il termina avec panache sa scolarité, en dépit de difficultés pécuniaires. Il voulait être médecin, mais comment continuer cet effort quand ses parents avaient tout juste le nécessaire, et que les pouvoirs publics, là comme ailleurs, à cette époque, se préoccupaient bien peu de savoir où soufflait l’esprit ! fort heureusement son maître, le docteur Muller, eut l’intuition de son génie et l’aida à poursuivre des études médicales à Leipzig où il arriva en 1775. Il y reste deux ans et est admis à Vienne. En1779, à Erlanger, il soutient brillamment sa thèse de doctorat sur le sujet : « Considérations étiologiques et thérapeutiques sur les affections spasmodiques ».

            Il exerce aussitôt à Dessan, à Torgan, puis se fixe à Dresde, en 1787, où il travaille jusqu’en 1812, pour revenir à Leipzig. Il ne cesse, depuis son doctorat, d’étudier, d’approfondir les effets de drogues qu’il prescrit à ses malades. Son nom se répand très au-delà de sa province, si bien que lui est offert, en 1821, le poste de médecin à la cour ducale d’Anhalt-Köthen, assorti de la protection du duc.

            Mais, quand cette renommée et ces honneurs survinrent, il y avait déjà longtemps que sa foi dans la médecine s’était complètement dissipée, et il était plus que jamais résolu à ne plus appliquer les thérapeutiques qui lui avaient été enseignées. Ayant lu la description de l’action du quinquina dans l’œuvre du médecin écossais William Cullen (1712 -1790) il avait déjà entrepris d’aller au fond de cette question. Il a la passion de la recherche, de l’expérience, de la découverte.

            N’oublions pas qu’il est contemporain de Jenner, de Bichat, de Laënnec et de Lavoisier. Un siècle où tout est remis en question. L’époque de la Révolution française. En 1970 l’emploi thérapeutique du quinquina est controversé. Il décide donc d’en expérimenter l’action sur lui-même. Il en absorbe pendant plusieurs jours consécutifs de petites doses et il observe que « le quinquina qui détruit la fièvre, provoque chez le sujet sain les apparences de la fièvre ». Il renouvelle cette expérience sur lui6même et l’étend à la belladone, à la digitale et au mercure.

            La durée de ces essais se prolonge chaque fois pendant plusieurs jours au mépris de sa santé. Mais la lumière se fait peu à peu dans mon esprit. Il tient une découverte et l’expérimente maintenant sur d’autres personnes avec des premiers résultats positifs.

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            Ces applications contredisent les académies, les facultés de médecine et de pharmacie, et, on le sait depuis toujours, cela ne va pas sans difficultés ni épreuves pour un inventeur, quelle que soit la discipline où son génie s’exerce. Hahnemann n’échappe pas à la règle, sa découverte ou redécouverte est repoussée, ses confrères le dénigrent et lui font un procès de charlatanisme.

            Il poursuit néanmoins ses recherches, et, après avoir publié, en 1805, l’étude de vingt-cinq médicaments, il élabore sa doctrine consignée dans un traité capital L’Organon de l’art de guérir qui sort de presse en 1810. Les attaques des médecins et des pharmaciens se déchaînent et croissent dans l’âpreté. Elles ne cesseront plus, en dépit de la protection du duc Ferdinand d’Anhalt-Köthen.

            Cependant, la vérité reste la plus forte. Et la vérité, à cet égard, est parlante. Elle s’exprime dans les milliers de guérisons obtenues grâce à la dose impondérable, à loi de similitude, à l’identification du malade et du remède, principes sur lesquels nous reviendrons. L’opiniâtreté d’Hahnemann, son zèle au service de la vérité thérapeutique, son dévouement aux malades, les résultats obtenus ont enfin raison de la calomnie, et si son génie n’était pas encore reconnu par ses pairs, du moins le médecin était-il, à cette phase de sa vie, profondément respecté.

            En 1821, il publie Matière médicale pure qu’il a mis dix ans à rédiger ; huit ans après, en 1828, il donne le bon à tirer de sa dernière œuvre, Doctrine et traitement homéopathique des maladies chroniques.

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            Dans le même temps, sa vie conjugale n’avait pas été particulièrement heureuse ; sa femme, Henriette Kuchler, ne comprenait pas qu’il n’exploitât son titre de médecin d’une manière plus conforme aux intérêts de la famille. Ses recherches ne lui attiraient que des ennuis et introduisaient la gêne au foyer. Et le comble pour un médecin, il ne parvenait pas à guérir ceux de ses enfants tombés gravement malades. Il en aura onze ! Ce furent du reste cette impuissance et sa douleur concomitante qui décuplèrent sa volonté. Sa science médicale classique ne lui permettait pas de guérir des enfants, de favoriser la riposte des défenses naturelles aux agressions ; elle n’était donc pas dans la bonne voie, et il existait sûrement autre chose.

            Hahnemann cessa donc de pratiquer et d’enseigner cette médecine. Pour gagner sa vie et celle des siens, il assura des travaux de traducteur scientifique, tout en poursuivant avec acharnement ses recherches.il finit par trouver, et, à l’instar de Saint Paul, il mena le bon combat, gagna la course, conserva la foi. Du moins la foi dans une médecine vraiment hippocratique, fondée sur l’observation rigoureuse des faits, le refus des idées préconçues, et notamment sur primum non nocere, avant tout ne pas nuire. Le père de la médecine n’écrit-il pas, quatre siècles avant notre ère : « Ce qui provoque la strangurie qui n’est pas, enlève la strangurie qui est ». Certes ce trouble douloureux dans l’émission de l’urine n’est plus reconnu comme une maladie en soi, mais comme un symptôme d’une cystite ou d’une affection rénale. Il n’empêche que cette observation d’Hippocrate annonce déjà le principe même de l’homéopathie que je rappellerai plus loin. C’est pourquoi j’ai fait allusion ci-dessus à une redécouverte en même temps qu’à une découverte.

            L’épouse d’Hahnemann, loin de cette philosophie et de cette action, accablée de charges, se sacrifie à sa famille et à ses enfants, et son mari, en dépit des scènes et reproches, lui demeure fidèles. Elle meurt en 1827, usée par le travaille et les maternités ? Hahnemann a soixante douze ans.

            Mais ni sa vie familiale, ni sa vie de médecin, maintenant au faîte de la réussite, n’étaient terminées. Quelques années plus tard, il soigna une jeune Française gravement atteinte, Mélanie d’Hervilly, et la sauva. Mélanie est éblouie par l’Organon. Elle a avec Hahnemann des discussions philosophiques d’un haut niveau. L’amour, pour aussi étonnant que cela paraisse alors que cinquante ans les séparent, s’insinue et croît. Le vieux maître l’épouse en 1835. Il a quatre-vingts ans.

            C’est alors qu’il décide de quitter son pays et de venir en France. Il dut se dérober à l’opposition affectueuse de ses concitoyens qui n’acceptaient point de la laisser partir. On était loin maintenant des persécutions subies quelques décennies auparavant. Rien n’y fit, et le fondateur de l’homéopathie s’établit à Paris, d’abord au 26 de la rue des Saint6Pères, puis au 7 de la rue de la Madeleine et, enfin, rue de Milan où il resta jusqu’à sa mort survenue en 1843.

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            Dès qu’il fut installé, les malades affluèrent à son cabinet parisien. Comme à Leipzig, il obtint des guérisons retentissantes. Dans le même temps, le vieux maître était en butte à l’hostilité de l’Académie de Médecine et à ses confrères français dont certains n’hésitèrent pas à demander à son encontre l’interdiction d’exercer sur notre territoire le professeur Bouillaud s’opposa notamment à l’ouverture d’un dispensaire homéopathique réclamé par Hahnemann, et déclara notamment : « Je considère l’homéopathie comme aussi meurtrière que la poudre à canon. Il y a parmi les homéopathes autre chose que des dupes : l’homéopathie est le refuge des fripons et des charlatans. »

            Comme on le voit c’était là un argument hautement scientifique !

            Fort heureusement, l’illustre chercheur bénéficia de l’appui du ministre Guizot : « Hahnemann, déclara-t-il en réponse à l’hostilité de l’Académie, est un savant de grand mérite. La science doit être pour tous. Si l’homéopathie est une chimère ou un système sans valeur propre, elle tombera d’elle-même. Si elle est au contraire un progrès, elle se répandra malgré toutes nos mesures de préservation, et l’Académie doit souhaiter, avant tout autre, elle qui a la mission de faire avancer la science et d’encourager les découvertes. »

            Ainsi le créateur de la nouvelle médecine n’eut pas la vie facile à Paris. Mais l’habitude de faire face aux calomnies et aux sarcasmes avait développé chez Hahnemann une force de résistance extraordinaire, et il continuait imperturbable à soigner les malades suivant les principes de sa méthode.

            Comme il s’était imposé à Köthen, il s’imposa à Paris jusqu’en 1843, année de sa mort, le 2 juillet, à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Mélanie d’Hervilly refusa de se séparer du corps qu’elle fit embaumer. Elle ne céda qu’aux objurgations de son entourage.

            Le maître est parti. L’essor de l’homéopathie commence. La nouvelle thérapeutique se répandit rapidement dans toute l’Europe occidentale, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Italie, en France. Dès 1832, le docteur Pierre Dufresne avait créé, à Genève, une revue périodique, La bibliothèque homéopathique, en collaboration avec plusieurs disciples d’Hahnemann. A Paris, sous l’impulsion de Curie et Simon, était publié, en 1833, le journal de Médecine homéopathique. Le docteur Petroz fonde ensuite La société homéopathique de Paris.

            Ici comme en toute chose, les divisions qui avaient commencé de se faire jour entre les disciples d’Hahnemann s’accentuèrent après sa mort. Une véritable scission se produisit entre ceux qui s’affirmaient homéopathes purs et les homéopathes de système ou éclectiques.

            Cette division est grave pour l’essor de la nouvelle médecine. Mais tout compte fait, les résultats son loin d’être négatifs, étant donné que les discussions ont permis de faire le point sur un grand nombre de questions et d’abandonner ce qui n’était que des vues de l’esprit. En dépit de l’hostilité de la médecine classique et pour le moins de l’indifférence de ses responsables, l’homéopathie connaît un développement très important à la veille de la guerre de 1914-1918.

            Aujourd’hui son extension ne cesse de s’affirmer et l’exercice de cette méthode est tout à fait légal dans tous les pays. Sans doute, la médecine classique demeure très réticente, et certains de ses membres sont franchement hostiles. Mais le fait est là, nous sommes dans le troisième siècle des découvertes d’Hahnemann, et sa méthode continue d’être appliquée et de produire des guérisons. Certes, elle ne prétend pas être la thérapeutique absolue, mais quelle médecine peut s’en vanter ? Il n’empêche que sa valeur et son efficacité ont fait leurs preuves. En outre, ses traitements n’induisent jamais de maladies thérapeutiques. Il n’en est pas toujours de même avec l’allopathie, et n’est-ce point elle qui a créé le qualificatif iatrogène pour désigner les affections engendrées par le traitement, par des médicaments dangereusement toxiques, à hauts pouvoirs pharmacodynamiques ? Rien de tel avec la dose infinitésimale.

            En outre, les homéopathes sont maintenant en mesure d’opposer à leurs détracteurs des arguments scientifiques précis, comme nous le verrons dans un prochain article.

                                    (PRINCIPE DE L’HOMÉOPATHIE)

                                                    E.A.